dimanche 1 février 2015

Imbolc

Imbolc

Dans son grand lit de bois sculpté, Margot tourna le dos au rayon de soleil qui traversait le volet.
Dès son apparition, inlassablement, l’astre du jour tentait de la faire sortir de son lit douillet.
Chaque matin, si son bébé lui en laissait la possibilité, la jeune femme se donnait quelques minutes de répit.
Elle allait se rendormir lorsqu’une information arriva jusqu’à son esprit embrumé :
Aujourd’hui nous étions le 02 février et on célébrait Imbolc !
La brume se dissipa comme par magie de son esprit et elle sauta du lit.
Le sol, sous ses pieds, était glacé mais elle ne s’en aperçut pas toute à son excitation de préparer la fête !
Elle était fille de Celtica, et comme ses habitants, vivait au rythme de Dame Nature. Elle adorait Imbolc annonçant le retour de la lumière, le réveil de la terre après un trop long hiver.
Sur la table de la salle à manger elle prit l’encensoir, l’enflamma et y déposa quelques grains de myrrhe. Aussitôt la pièce se remplit d’une odeur chaude et envoûtante qui se propagea dans toute la maisonnée. Elle récupéra les trois bougies préparées la veille, les alluma et les disposa  dans la salle d’eau : une sur le rebord du lavabo et les autres de chaque coté de la baignoire.
Hypnotisée par le halo d’une des bougies elle se dévêtit.
Elle fit glisser sa chemise de nuit, découvrant un corps que la grossesse avait magnifié : ses hanches avaient gagné en volupté et ses seins, gonflés par la prochaine tétée, en volume.
Ses mains délicates délièrent sa lourde natte libérant se chevelure flamboyante.
Le rituel de purification pouvait se poursuivre, elle était prête !
Nue, elle allait s’offrir à l’eau. Eau qui devait couler jusqu’à effacer toutes les impuretés accumulées  au cours de ce long hiver.
Margot enjamba le tube et se glissa sous le filet qui arrivait directement de la rivière.
Bien qu’elle soit préparée, sa fraîcheur lui coupa le souffle : les battements de son cœur s’accélérèrent, sa peau  devint chair de poule, la pointe de ses seins se durcit.
Elle offrit son visage au flot régénérant qui pénétra lentement la masse rousse de ses cheveux et dégoulina le long de ses reins.
Le froid s’estompa laissant la place à une sorte de transe.
Margot n’était plus qu’une onde, son corps se mouvant au rythme du torrent.
Elle faisait qu’un avec l’eau et son éternel cycle : Elle chutait avec elle, ruisselait, s’infiltrait, avant de s’évaporer et se condenser. Pour recommencer, encore et encore…
Quelques minutes s’écoulèrent avant qu’un frisson plus soutenu que les autres lui fasse comprendre qu’il était temps de sortir.
La lustration était finie.
La jeune femme récupéra le drap qu’elle avait mis à chauffer  près de la cheminée, s’en emmitoufla avant de s’assoir près de l’âtre.
Les flammes réchauffèrent son corps transi : elle était sereine alanguie lorsque les premiers couinements se firent entendre.  Elle alla chercher l’enfant et s’installa face aux flammes, découvrit un sein et guida la bouche avide jusqu’à la source.
Tandis que petit Paul tétait goulûment elle songea qu’il faudrait qu’elle se rende à la bergerie aujourd’hui. Son lait n’était plus aussi nourrissant et le bébé ne grossissait pas normalement. Il fallait le compléter avec du lait de chèvre.
En  coupant par les bois elle pourrait y être rapidement. La journée était clémente. La lumière que de timides rayons diffusaient  contrastait avec la tristesse des arbres dénudés. Ils étaient lugubres sans leur parure. Mais cela allait bientôt changer : la nature allait se réveiller et couvrir les feuillus d’une teinte vert tendre.
Le bébé contre elle, elle mit moins d’une heure pour atteindre la bergerie.
Vincent, le chevrier, l’accueillit chaleureusement et lui fit visiter ses nouvelles installations.
Tandis que petit Paul dormait dans la paille, elle aida son ami à transporter le lait, récolté lors de la traite, dans la pièce arrière où se faisait le caillage.
Les gestes lui revenaient automatiquement ; elle avait travaillé une saison à la bergerie avant la naissance de son enfant. Elle avait aimé seconder Vincent  à la fabrication du fromage, sortir le caillé pour le mouler et le mettre à l’égouttage.
Elle trouvait magique  la dernière étape,  celle de l’affinage : comment une pâte placée  dans un bon environnement, s’épanouissait et atteignait ce niveau gustatif  qui régalait les papilles.
A ce stade de ses réflexions, Vincent  vint la rejoindre lui annonçant que son bébé était réveillé : c’était l’heure de se mettre à table !
Ils dégustèrent les produits de la maison : Amarrons, Loubains et Tomes : même petit Paul eut son biberon de lait !
Le soleil déclinant,  Margot se décida à rentrer. Son panier rempli de bouteille de lait, elle quitta à regret la bergerie. Bercé par le balancement des pas de sa mère le bébé s’endormit contre elle. Elle mit plus de temps qu’à l’allée, rattrapée par sa fatigue et le poids de sa charge.
Elle poussa enfin la porte de sa chaumière, se remémorant les taches à accomplir : en priorité rallumer les bougies, en disposer une sur la fenêtre, préparer les crêpes…
Elle imaginait déjà le sourire gourmand de son mari lorsqu’il rentrerait.
Toute à ces préparatifs elle déposa délicatement l’enfant dans son berceau, espérant ne pas le réveiller.
Sa couverture glissa et elle tenta délicatement de le recouvrir. Quelque chose bloquait et empêchait le châle de monter.
Etonnée elle le souleva et stupéfaite découvrir à la place des petits chaussons beiges, qu’elle avait glissé aux pieds de son enfant : deux petits sabots.
A  partir du nombril, le corps de son fils était recouvert d’un court pelage brun.
Que s’était il passé ? A quel moment cela s’était il produit ?
N’oublions pas chers lecteurs, que nous sommes en Terre de Syhaey où la magie est toujours présente.
Margot ne fut donc pas surprise outre mesure par la métamorphose.
Par contre elle fut pétrifiée par les conséquences que cette dernière  pouvait avoir sur leur vie, jusque là heureuse !
En effet une prophétie courrait dans le royaume.
Elle annonçait  que le sacrifice d’un enfant mi-humain pourrait délivrer le peuple du haut plateau d’une épidémie qui sévissait depuis des mois.
Si le grand druide apprenait que son bébé n’était plus totalement humain il l’enlèverait !
Le cœur de Margot battait dans sa poitrine, elle ne savait que faire. Elle ne pouvait partir, elle n’avait nulle part où aller. De toutes manières le ministre de culte la retrouverait assurément : il savait tout, rien ne lui échappait.
Des images horribles envahirent son esprit : les soldats venant chercher petit Paul.  Elle imagina le déchirement, la douleur et le vide.
Le bébé sentant le désespoir de sa mère, hurlerait.
Des cris de plus en plus forts, de plus en plus réels.
Soudain  sa tête bascula sur le coté.
Margot ouvrit les yeux et découvrit les flammes de la cheminée.
Leur chaleur dissipa ses dernières angoisses et des larmes de soulagement coulèrent le long de ses joues tandis qu’elle changea le bébé de sein et couvrit les petits pieds dodus de son fils qui s’étaient échappés de la couverture.

                                                                  Syhaey 2014



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