Imbolc
Dans son grand lit de bois sculpté, Margot tourna le dos
au rayon de soleil qui traversait le volet.
Dès son apparition, inlassablement, l’astre du jour
tentait de la faire sortir de son lit douillet.
Chaque matin, si son bébé lui en laissait la possibilité,
la jeune femme se donnait quelques minutes de répit.
Elle allait se rendormir lorsqu’une information arriva jusqu’à son esprit embrumé :
Aujourd’hui nous étions le 02 février et on célébrait
Imbolc !
La brume se dissipa comme par magie de son esprit et elle
sauta du lit.
Le sol, sous ses pieds, était glacé mais elle ne s’en aperçut
pas toute à son excitation de préparer la fête !
Elle était fille de Celtica, et comme ses habitants,
vivait au rythme de Dame Nature. Elle adorait Imbolc annonçant le retour de la
lumière, le réveil de la terre après un trop long hiver.
Sur la table de la salle à manger elle prit l’encensoir, l’enflamma
et y déposa quelques grains de myrrhe. Aussitôt la pièce se remplit d’une
odeur chaude et envoûtante qui se propagea dans toute la maisonnée. Elle
récupéra les trois bougies préparées la veille, les alluma et les disposa dans la salle d’eau : une sur le rebord
du lavabo et les autres de chaque coté de la baignoire.
Hypnotisée par le halo d’une des bougies elle se dévêtit.
Elle fit glisser sa chemise de nuit, découvrant un corps que
la grossesse avait magnifié : ses hanches avaient gagné en volupté et ses
seins, gonflés par la prochaine tétée, en volume.
Ses mains délicates délièrent sa lourde natte libérant se
chevelure flamboyante.
Le rituel de purification pouvait se poursuivre, elle
était prête !
Nue, elle allait s’offrir à l’eau. Eau qui devait couler jusqu’à
effacer toutes les impuretés accumulées
au cours de ce long hiver.
Margot enjamba le tube et se glissa sous le filet qui
arrivait directement de la rivière.
Bien qu’elle soit préparée, sa fraîcheur lui coupa le souffle : les battements de
son cœur s’accélérèrent, sa peau devint
chair de poule, la pointe de ses seins se durcit.
Elle offrit son visage au flot régénérant qui pénétra
lentement la masse rousse de ses cheveux et dégoulina le long de ses reins.
Le froid s’estompa laissant la place à une sorte de
transe.
Margot n’était plus qu’une onde, son corps se mouvant au rythme
du torrent.
Elle faisait qu’un avec l’eau et son éternel cycle :
Elle chutait avec elle, ruisselait, s’infiltrait, avant de s’évaporer et se
condenser. Pour recommencer, encore et encore…
Quelques minutes s’écoulèrent avant qu’un frisson plus
soutenu que les autres lui fasse comprendre qu’il était temps de sortir.
La lustration était finie.
La jeune femme récupéra le drap qu’elle avait mis à
chauffer près de la cheminée, s’en emmitoufla
avant de s’assoir près de l’âtre.
Les flammes réchauffèrent son corps transi : elle était sereine
alanguie lorsque les premiers couinements se firent entendre. Elle alla chercher l’enfant et s’installa face
aux flammes, découvrit un sein et guida la bouche avide jusqu’à la source.
Tandis que petit Paul tétait goulûment elle songea qu’il
faudrait qu’elle se rende à la bergerie aujourd’hui. Son lait n’était plus
aussi nourrissant et le bébé ne grossissait pas normalement. Il fallait le compléter
avec du lait de chèvre.
En coupant par les
bois elle pourrait y être rapidement. La journée était clémente. La lumière que
de timides rayons diffusaient
contrastait avec la tristesse des arbres dénudés. Ils étaient lugubres
sans leur parure. Mais cela allait bientôt changer : la nature allait se
réveiller et couvrir les feuillus d’une teinte vert tendre.
Le bébé contre elle, elle mit moins d’une heure pour atteindre
la bergerie.
Vincent, le chevrier, l’accueillit chaleureusement et lui
fit visiter ses nouvelles installations.
Tandis que petit Paul dormait dans la paille, elle aida
son ami à transporter le lait, récolté lors de la traite, dans la pièce arrière
où se faisait le caillage.
Les gestes lui revenaient automatiquement ; elle
avait travaillé une saison à la bergerie avant la naissance de son enfant. Elle
avait aimé seconder Vincent à la
fabrication du fromage, sortir le caillé pour le mouler et le mettre à
l’égouttage.
Elle trouvait magique la dernière étape, celle de l’affinage : comment une pâte placée dans un bon environnement, s’épanouissait
et atteignait ce niveau gustatif qui
régalait les papilles.
A ce stade de ses réflexions, Vincent vint la rejoindre lui annonçant que son bébé
était réveillé : c’était l’heure de se mettre à table !
Ils dégustèrent les produits de la maison : Amarrons,
Loubains et Tomes : même petit Paul eut son biberon de lait !
Le soleil déclinant,
Margot se décida à rentrer. Son panier rempli de bouteille de lait, elle
quitta à regret la bergerie. Bercé par le balancement des pas de sa mère le
bébé s’endormit contre elle. Elle mit plus de temps qu’à l’allée, rattrapée par
sa fatigue et le poids de sa charge.
Elle poussa enfin la porte de sa chaumière, se remémorant
les taches à accomplir : en priorité rallumer les bougies, en disposer une
sur la fenêtre, préparer les crêpes…
Elle imaginait déjà le sourire gourmand de son mari
lorsqu’il rentrerait.
Toute à ces préparatifs elle déposa délicatement l’enfant
dans son berceau, espérant ne pas le réveiller.
Sa couverture glissa et elle tenta délicatement de le recouvrir.
Quelque chose bloquait et empêchait le châle de monter.
Etonnée elle le souleva et stupéfaite découvrir à la
place des petits chaussons beiges, qu’elle avait glissé aux pieds de son enfant
: deux petits sabots.
A partir du
nombril, le corps de son fils était recouvert d’un court pelage brun.
Que s’était il passé ? A quel moment cela s’était il
produit ?
N’oublions pas chers lecteurs, que nous sommes en Terre
de Syhaey où la magie est toujours présente.
Margot ne fut donc pas surprise outre mesure par la
métamorphose.
Par contre elle fut pétrifiée par les conséquences que
cette dernière pouvait avoir sur leur
vie, jusque là heureuse !
En effet une prophétie courrait dans le royaume.
Elle annonçait que
le sacrifice d’un enfant mi-humain pourrait délivrer le peuple du haut plateau
d’une épidémie qui sévissait depuis des mois.
Si le grand druide apprenait que son bébé n’était plus
totalement humain il l’enlèverait !
Le cœur de Margot battait dans sa poitrine, elle ne savait
que faire. Elle ne pouvait partir, elle n’avait nulle part où aller. De toutes
manières le ministre de culte la retrouverait assurément : il savait tout,
rien ne lui échappait.
Des images horribles envahirent son esprit : les
soldats venant chercher petit Paul. Elle
imagina le déchirement, la douleur et le vide.
Le bébé sentant le désespoir de sa mère, hurlerait.
Des cris de plus en plus forts, de plus en plus réels.
Soudain sa tête
bascula sur le coté.
Margot ouvrit les yeux et découvrit les flammes de la
cheminée.
Leur chaleur dissipa ses dernières angoisses et des
larmes de soulagement coulèrent le long
de ses joues tandis qu’elle changea le bébé de sein et couvrit les petits pieds
dodus de son fils qui s’étaient échappés de la couverture.
Syhaey 2014
Syhaey 2014